78ème anniversaire de la Libération de Limoges
Retrouvez ci-dessous mon discours, prononcé le 21 août lors de la commémoration du 78ème anniversaire de la Libération de Limoges :
"Madame la préfète ;
Mesdames et messieurs les parlementaires ;
Mesdames et messieurs les élus régionaux ;
Mesdames et Messieurs les élus départementaux ;
Monsieur le président de Limoges métropole ;
Mesdames et messieurs les maires, les élus municipaux et les élus communautaires ;
Mesdames et messieurs les représentants des autorités religieuses, civiles et militaires ;
Chères limougeaudes, chers limougeauds ;
Mesdames et messieurs et chers amis.
Au moment où nous sommes réunis pour commémorer la libération de Limoges, ayons une pensée fraternelle pour les femmes et les hommes qui luttent contre l’envahissement de leur pays et/ou pour retrouver leur liberté. La guerre en Ukraine, aujourd’hui, nous concerne tous et nous montre la fragilité du concept de paix. Cette cécité apparemment calme, derrière laquelle nous avions cru pouvoir passivement nous abriter, a soudainement disparu le 24 février 2022 par la volonté hégémonique d’un lointain successeur de Staline.
Serions-nous prêts, comme nos aïeux le firent, à nous battre pour notre liberté à défaut d’aller défendre celle de nos voisins ?
Cette année, qui voit la guerre revenir en Europe, à notre porte, je ressens comme le besoin de nous interroger sur la pertinence et la portée de nos commémorations. Représentent-elles vraiment cette transmission des valeurs et vertus de la République, de sacrifice, de don de soi au service de la liberté, de la démocratie basée sur l’autodétermination des peuples si chère à De Gaulle ?
Ne seraient-elles devenues que de simples moments nostalgiques, de moins en moins partagés par nos concitoyens, où, des bons mots choisis font vibrer les émotions que l’on s’empressera d’oublier pour mieux retomber dans les rituels consuméristes quotidiens ?
Combien d’entre nous aujourd’hui ici présents et tout autour de nous se sont intéressés à l’histoire du 20e siècle et à celle des civilisations et cultures qui l’ont précédée lors des quatre derniers millénaires ?
Combien parmi nos jeunes générations en ont entendu parler et y ont été intéressés ?
Qui se soucie aujourd’hui de la nation et de la patrie au-delà de croire qu’il s’agit de mots devenus infamants ?
Ne sommes-nous pas enfermés dans les mêmes paradoxes que nos aïeux des années 1930-1940 voués au pacifisme à tout crin, confinant à l’aveuglement contre ceux qui voyaient revenir le cycle de la guerre poussé par une Allemagne se surarmant aux mains d’un chef totalitaire ?
Hitler qui avait depuis longtemps affiché sa volonté de revanche, d’hégémonie expansionniste, de purification de l’Allemagne devenue Europe, des juifs, des tsiganes, des handicapés et autres personnes jugées dégénérées pour qu’advienne une race pure, la race arienne.
J’appelle de mes vœux la fin des conflits en cours. Nul doute qu’ils s’établiront à partir de négociations comme ce fut le cas pour la libération de Limoges les 20 et 21 août 1944 ; mais sommes-nous capables en tant que Nation, en tant qu’Europe, de constituer une force suffisante pour amener l’agresseur à la table des négociations ?
J’ai eu le plaisir, il y a quelques mois, d’approuver la donation faite, au musée de la résistance, par Antoine d’Albis. Il s’agit du mobilier, tables et chaises, appartenant à son père et qui ont servi lors des discussions ayant conduit à la reddition de la garnison Allemande qui occupait Limoges.
Comme l’écrivit Alphonse de Lamartines « Objets inanimés avez vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ».
Ce mobilier présent les 20 et 21 août 1944 dans la villa Jouxtens, rue Saint Lazare, et qui 78 ans après, rappelait le rôle prépondérant de ces hommes que le temps a éloigné de nos mémoires, et qui ont fait que Limoges fut libérée sans effusion de sang.
Ce leg fut pour moi l’occasion de me replonger dans l’Histoire, ses aléas et ses invariants : sans médiateur diplomate, pas de négociations ; sans résistants encerclant la ville, pas de négociation ; sans SOE pas de relation avec Londres pour coordonner l’aviation ; sans détermination farouche du Colonel Guingouin, chef de la principale force des maquis pas d’opposition au bombardement allié prévu sur Limoges.
Cette libération vient après une longue période débutée par la défaite de 1940 qui voit le vieux maréchal Pétain signer l’armistice avec les pleins pouvoirs délégués par une majorité de députés. Progressivement pour continuer le combat, le Général de Gaulle à Londres et de multiples citoyens de tous horizons et de toutes origines vont entrer en résistance tant en France que dans l’empire. Cette résistance s’organisera progressivement devenant le CNR. Elle sera associée à des sabotages réguliers puis des affrontements pour affaiblir les forces d’occupation et notamment après le débarquement de Normandie et de Provence.
Le village d’Oradour sur Glane et ses habitants [mon cher Philippe] viennent d’être détruits le 10 juin le lendemain où Tulle a vu 99 habitants pendus et 140 déportés. Les maquis qui ont voulu libérer Tulle sont violemment réprimés et la population en paye le prix fort. Le Colonel Guingouin voulait à tout prix éviter les représailles inutiles.
La bataille du mont Gargan, prépare et préfigure la libération de Limoges par les troupes de cet instituteur, communiste ayant désobéi progressivement au parti qui essaiera de le faire disparaître car rentré trop tôt en résistance, n’obéissant plus aux ordres du parti, et devenu par la force de sa détermination le Colonel Guingouin dont De Gaulle reconnaitra les mérites et en fera un Compagnon de la libération.
Dans cette multitude, ceux qui en 1940 étaient pour l’armistice ou qui avaient voté les pleins pouvoirs à Pétain, ceux qui avaient été pour le pacte germano soviétique, ceux qui fuyaient les persécutions nazies comme les réfugiés espagnols, des militaires français, des étudiants, ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas, formeront les cohortes du maquis.
Oui, ma Chère Michèle, avec la libération de Limoges nous évoquons un mythe, celui de votre père le colonel Georges Guingouin dont la légende, la geste trouve son armée avec la libération de Limoges débouchant sur son élection de maire, et son épilogue tragique avec le procès, en sorcellerie qui lui fut fait et qu’il gagna grâce à un jeune avocat brillant et fidèle au grand résistant, je parle ici de Roland Dumas.
Puisque nous sommes en Europe, ce mobilier me rappelle celui du musée de Gdansk avec la table et les chaises ayant servi à la négociation entre Lech Walesa et le Général Jaruselski, pour l’arrivée de la démocratie en Pologne. Cela m’évoque aussi le pacte germano-soviétique qui entérina le partage entre l’Allemagne et l’Union Soviétique de la nation Polonaise avec comme exaction majeure l’assassinat par le NKVD des élites polonaises à Katyn.
Cela me rappelle aussi combien Churchill et De Gaulle se méfiaient de l’expansionnisme soviétique, mais comment de Gaulle, connaisseur de l’Histoire de l’Europe prédisait que les nations triompheraient du communisme. Ce qui fut vrai durant les années 90 est remis en cause par l’impérialisme Russo-Poutinien.
N’ayons pas la naïveté de croire que la paix triomphera. Elle doit se mériter, s’obtenir puis se défendre.
Je conclurai en citant Albert Camus avec quelques passages tirés de son discours de Stockholm de 1957 : « Chaque génération se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. … Devant un monde menacé de désintégration, où nos grands inquisiteurs risquent d’établir pour toujours les royaumes de la mort, elle sait qu’elle devrait, dans une sorte de course folle contre la montre, restaurer entre les nations une paix qui ne soit pas celle de la servitude, réconcilier à nouveau travail et culture et refaire avec tous les hommes une arche d’alliance. »
Je vous remercie"
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